Christian Bassoul interviewé dans "Accordéon, bals & chansons".

En l'an 2000, à l'ère d'Internet et du portable, il est rassurant de constater que dans certains coins de la capitale, les passants s'arrêtent volontiers près d'un accordéoniste, échangent un petit regard complice et poussent la chansonnette. Comme çà, sans plus de formalités. Pour le plaisir d'être ensemble et de chanter ces grands airs que l'on connaît tous et qui appartiennent désormais au XXème s. Christian Bassoul joue tous les dimanches rue Mouffetard avec son accordéon. Il fait chanter les Parisiens et les touristes. Entretien.

Parlez-nous de votre parcours musical.

Quand j'étais enfant, je jouais déjà de l'accordéon. A l'adolescence, j'ai pris la guitare, comme de nombreux autres jeunes. Je n'osais pas dire que je jouais de l'accordéon. A l'époque, je rasais les murs ! (rires). Quand je suis arrivé à Paris, j'ai fait des études de musique. J'ai appris le violon et la viole de gambe. Je m'intéressais beaucoup à la musique baroque. Je suis devenu professeur d'éducation musicale dans un collège. Je faisais chanter les enfants. J'ai ensuite emménagé rue Mouffetard ! C'est là que j'ai eu l'idée de jouer un peu d'accordéon dans les rues, pour mieux connaître les gens de mon quartier.

Comment ont-ils réagi ?

Bien ! Les gens voulaient chanter les airs que je jouais mais la plupart d'entre eux ne connaissaient pas les paroles. Alors j'ai eu l'idée de faire des copies des chansons et de les distribuer.

Ca a marché ?

Oui. Enfin, doucement, au début ! Les gens étaient intimidés. Il a fallu un peu de temps pour qu'ils se décoincent. Un petit noyau d'habitués s'est formé et la mayonnaise a pris. Mais à l'époque - il y a environ quinze ans -, ce n'était pas à la mode de chanter dans les rues.

Pourtant, dans les années 30, on chantait dans les rues. C’est une tradition française.

Oui mais curieusement, c’est un petit groupe de touristes qui m’a encouragé au début. II venait régulièrement, n’hésitant pas à chanter. Puis le petit groupe a grossi.

Vous avez remis au goût du jour la distribution de petits formats.

Auparavant, je ne connaissais pas cette histoire de petits formats. En fait, j’ai réinstallé sans le savoir une tradition qui s’était perdue.

Quelles sont les personnes qui s’arrêtent une heure — parfois plus — pour chanter avec vous ? Sont-elles du quartier, ont-elles un certain âge ?

C’est très mélangé. On y retrouve toutes les générations. Il y a des jeunes qui
font danser des dames plus âgées, des gosses qui viennent avec leurs parents. II y a des Parisiens, des banlieusards, des touristes. C’est très convivial !

Et c’est ainsi que les grandes chansons se transmettent entre générations par la tradition orale. C’est l’occasion de citer les vrais succès populaires du vingtième siècle que l’on chante toujours dans la rue en l’an 2000.

Y a-t-il un interprète que tout le monde connaît et réclame en priorité ?

Oui. Édith Piaf. Ses chansons sont toujours bien inscrites dans les mémoires. Même pour les plus jeunes, ça ne leur paraît pas trop ancien.

D’ailleurs, Piaf a débuté en chantant dans les rues. Quelles sont ses chansons les plus demandées ?

La vie en rose, Non je ne regrette rien ou encore Padam Padam. Milord marche très fort aussi.

Y a-t-il des incontournables, des chansons que tout le monde reprend, toutes générations confondues ?

Oui, les classiques : Mon amant de Saint-Jean, La Java bleue, Le dénicheur, Nini peau de chien, La complainte de la butte, etc. Ce qui marche, ce sont les chansons entraînantes et faciles à chanter. Parfois on m’en fait découvrir. Récemment, on m’a apporté une chanson qui s’appelle On chante dans mon quartier, un titre de circonstance écrit par Francis Blanche. Maintenant, tout le monde la chante !

À l’inverse, y a-t-il des chansons que tout le monde connaît mais qui ne fonctionnent pas ?

Oui, celle qu’interprétait Mouna : Quand les hommes vivront d’amour. C’est difficilement chantable en groupe car il faut que le rythme soit carré.

Toutes les chansons que vous citez datent des années 30 ou 40. N’y a-t-il donc pas de grand succès populaires après 1950 ?

On me demande parfois du Claude François ou du Adamo. On chante aussi Le rossignol anglais d’Hugues Aufray, Le jazz et la Java de Nougaro....

Ça s’arrête aux années 60 ?

Ces derniers temps, avec le succès de la comédie musicale “Notre-Dame de Paris”, on chante Le temps des cathédrales et Belle. Mais on me demande rarement des chanteurs actuels — sauf Renaud.

Vous êtes donc tous les dimanches matin en bas de la rue Mouffetard, devant l’église Saint-Médard. Mais vous semblez n’avoir pas besoin de publicité...

C’est vrai que ça marche bien. Ce qui me fait plaisir, c’est que c’est devenu un rendez-vous important pour des gens stressés qui retrouvent le sourire, qui se parlent entre eux. Certains viennent de la banlieue, uniquement pour chanter avec nous. Il y a aussi des Américains qui programment dans leur séjour à Paris la matinée à la Mouffe !

Vous n’êtes donc pas prêt de vous arrêter ?

Non. Je pense même que cette tradition qui consiste à chanter autour d’un accordéoniste prendra de plus en plus d’ampleur. J’en suis sûr !